Royaume de Naples

Comme pour le Royaume d’Italie, ce chapitre n’aborde pas l’organisation postale du Royaume de Naples en tant que telle, mais les relations postales entre cet État et la France :

1. Cadre historique

2. Les relations postales civiles entre la France et le royaume de Naples 

……….2.1. La règlementation héritée de l’Ancien régime

……….2.2. Le décret impérial du 19 septembre 1806

3. L’activation de la Poste aux Armées au lendemain du traité de Florence de 1801 

4. L’activation de la Poste aux Armées lors de l’invasion du royaume de Naples (1806) 

……….4.1. Les incidences postales de la conquête

……….4.2. Le transfert aux autorités civiles du service français de la Poste aux Armées 



1.

CADRE HISTORIQUE


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En 1798, le roi de Naples et de Sicile, Ferdinand IV, engage son pays contre la France au sein de la deuxième coalition, animée notamment en Méditerranée par l’Angleterre. La famille royale, profondément attachée aux principes d’Ancien régime (féodalité, influence du clergé, etc.), est particulièrement hostile au processus révolutionnaire qui s’est enclenché en France, a fortiori depuis l’exécution de Louis XVI et de Marie-Antoinette… soeur de la reine de Naples. Cet engagement militaire de 1798 se solde par la défaite des armées napolitaines face aux troupes du général Championnet, et par la proclamation d’une éphémère République parthénopéenne, animée par une partie des élites urbaines napolitaines.  

En 1799, devant le reflux des troupes françaises d’Italie, Ferdinand IV qui s’était réfugié en Sicile, reprend possession de la partie péninsulaire de son royaume et y exerce une sévère répression. Ses armées sont cependant à nouveau défaites par les troupes françaises de retour en Italie en 1800 et Ferdinand est contraint de signer le sévère Traité de Florence en 1801… ce qui ne l’empêche pas de se ranger secrètement aux côtés des Autrichiens et des Anglais dans les années suivantes malgré ses engagements de neutralité.

C’est ainsi que Napoléon décide, fin 1805, la conquête du royaume de Naples : il y place sur le trône son frère Joseph puis son beau-frère Joachim Murat en 1808. D’ennemi retors, le royaume de Naples est devenu Etat satellite de l’Empire français…

Frère aîné de Napoléon, Joseph Bonaparte [à gauche, par François Gérard] est nommé roi de Naples par décret impérial du 30 mars 1806. Deux ans plus tard, l’empereur lui attribue la couronne d’Espagne.

Maréchal d’Empire et époux de Caroline Bonaparte, Joachim Murat [à droite, par François Gérard aussi] reçoit la couronne de Naples en 1808. Jouant sa propre partition en 1814, il signe un traité avec les Anglais et les Autrichiens, avant de se raviser l’année suivante pour essayer de constituer, en vain, un royaume qui aurait unifié la péninsule italienne.



3.

L’ACTIVATION DE LA POSTE AUX ARMÉES 

AUX LENDEMAINS DU TRAITÉ DE FLORENCE


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C’est donc le traité de Florence, signé le 28 mars 1801, qui met fin aux hostilités entre Paris et Naples : les conditions en sont draconiennes pour Ferdinand qui doit céder quelques territoires à la France, l’île d’Elbe notamment, mais aussi verser des indemnités et fermer ses ports aux navires anglais.

.Par des clauses secrètes, Ferdinand est aussi contraint d’accepter l’occupation par des garnisons françaises des ports de Brindisi, Otrante et Tarente pour une année : c’est donc la nécessité d’assurer des communications postales entre les troupes françaises [en réalité en partie recrutées en Italie du nord] et la France qui entraine l’activation du service de la Poste aux armées

Celle-ci s’effectue dans un premier temps en 1801-1802, conformément au traité, et voit l’utilisation des timbres CORPS D’OBSERVATION et ARM. D’OBSERVATION / DU MIDI.

<  De Naples pour Lyon, 17 avril 1802 (vente Delhaye, 2021)

Puis à nouveau après mars 1803, quand Napoléon décide de faire occuper une seconde fois ces sites portuaires devant le refus des Anglais d’évacuer Malte [proclamation ci-contre]. 

Trois bureaux sont alors créés, actifs jusqu’à la fin de 1805 et pourvus de la griffe au libellé très explicite : ARMÉE FRANÇAISE / DANS / LE ROYAUME DE NAPLES / N° [1, 2 ou 3].

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La première lettre présentée ici est rédigée à Andria (localisée sur la carte par une étoile) le 11 messidor an XIII [30 juin 1805], et adressée à Paris où elle est distribuée le 2 thermidor [21 juillet]. Le destinataire doit s’acquitter de 9 décimes pour la distance entre vraisemblablement Nice et la capitale de l’Empire. On notera une incision centrale et les traces d’une immersion dans le vinaigre à des fins de désinfection :

Une seconde lettre, plus précoce, témoigne des difficultés rencontrées pour relier à la France des unités sans cesse en mouvement et dispersées sur un territoire mal commode à parcourir et dont les lignes de communication sont particulièrement étirée: elle est datée du 2 fructidor an XI [19 août 1803 ] et rédigée à Bari (localisée par une étoile sur la carte) pour Grasse où elle est taxée pour 7 décimes. Le destinataire date son arrivée du 29 fructidor.

“Vous avez eu de mes nouvelles, mon cher père, de Foggia et de Tarente. Avant mon départ d’Ancône, je vous écrivis aussi de cette dernière ville. Une seule lettre de vous m’est parvenue, depuis bien longtemps j’en étais privé […]. Si elles me parviennent tard, et que je n’aÿe pû vous écrire plus souvent, c’est que je n’aÿe pas passé encore dix jours dans le même paÿs, et partout il n’y a pas de postes établies […]”.

La missive a été acheminée directement sur Milan (on notera, mal et partiellement frappée dans l’angle supérieur droit, la griffe du bureau français : B.F. MILAN), et ne porte pas le timbre de départ de la Poste aux armées, faute de bureau activé ou accessible. Pour autant, l’expéditeur mentionne ainsi son adresse à la fin du texte : Au citoyen D., service des subsistances militaires au corps d’armée français, par Naples, Barri [sic]. C’est la ligne de communication à travers le royaume d’Italie qui a été préférée, plus sure et facile à contrôler que celle déjà suivie par le courrier civil de Rome traversant les Etats romains et le royaume d’Etrurie.

A défaut de disposer des arrêtés de mise en place de ces bureaux de la poste aux armées, le recensement des lettres connues permet de baliser approximativement leur période de fonctionnement. Voici les dates extrêmes données par Vollmeier & Mancini et Giribone & Vollmeier (cf. bibliographie) :

N°1 : d’avril 1803 à novembre 1805

N°2 : de mars 1804 à octobre 1805

N°3 : d’octobre 1803 à novembre 1805



4.

L’ACTIVATION DU SERVICE DE LA POSTE AUX ARMÉES LORS DE L’INVASION DU ROYAUME DE NAPLES (1806)


4.1. Les incidences postales de la conquête 

Malgré les engagements pris par Ferdinand IV dans le Traité de Florence (1801) évoqué ci-dessus, le souverain napolitain n’hésite pas à rejoindre, à l’automne 1805, la coalition anti-française qui réunit alors notamment Vienne, Moscou et Londres, et à autoriser le débarquement de 20.000 soldats russes et anglais sur son territoire.

La victoire d’Austerlitz remportée le 2 décembre 1805, et au moment de signer la paix avec l’Autriche à Presbourg, Napoléon annonce le 27 décembre l’invasion du royaume de Naples et l’éviction des Bourbons :   

Placée sous l’autorité de Joseph Bonaparte, l’Armée de naples, forte de 35.000 hommes dont 7.000 Italiens et 3.000 Polonais, est sous le commandement effectif de Masséna, Lecchi et Reynier. Lancée le 8 février 1806, l’offensive française ne rencontre (sauf devant Gaète qui résistera 5 mois) que peu de résistance dans sa marche sur Naples dont les souverains ont pris la fuite, sous protection anglaise, vers la Sicile. Le 15 février 1806, Joseph y fait son entrée solennelle ; le 18 avril suivant, Napoléon élève son frère à la dignité de roi de Naples et (virtuellement !) de Sicile.

Dans les semaines qui précèdent l’offensive, l’armée française se regroupe, dans les Etats du pape, devant la frontière du royaume de Naples : Le maître de la poste aux chevaux de la ville de Spolète fournira aujourd’hui quatre chevaux au général Debelle, aussitôt que ceux qui ont conduit M. le maréchal Masséna seront rentrés. Spolète le 20 janvier 1806. [signé] Le général Debelle. 

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Le mouvement des troupes en territoire napolitain est accompagné de la mise en service de la Poste aux Armées : à défaut de disposer des directives d’ouverture des bureaux, le recensement des correspondances connues et de leur timbrage, effectué depuis plusieurs décennies notamment en Italie, permet d’établir une chronologie relative [nous suivons ici Giribone & Vollmeier, cf la bibliographie] :

Le timbre linéaire ARMÉE DE NAPLES est connu utilisé de janvier à mars 1806 pour le n°1, de mars à juin pour le n°2, en mars pour le n°3, de mars à juin pour le n°4 : une durée de service relativement courte qui s’explique par la reddition rapide de l’armée napolitaine. 

Deux bureaux ont un fonctionnement plus tardif : de juin 1806 à mai 1807 à Salerne pour le n°8, et d’avril à septembre 1810 pour le n°6 (en Calabre).

< Ci-contre, lettre rédigée le 18 mars 1806 à Naples, et confiée au bureau de la Poste aux armées de la première division.

Le destinataire n’est redevable que du port entre la frontière de l’Empire français et la localité de destination (circulaire du 29 octobre 1792 complétant le décret du 27 juin précédent).

A cette date, l’empire français englobe la Ligurie : Le montant modéré dû par le destinataire, 2 décimes (tarif du 1er thermidor an X en vigueur pour quelques semaines encore), représente la distance entre Gênes et le bureau d’échange frontalier de Voghère [voir le §5 du chapitre Royaume d’Italie]

Naples prise, le nouveau roi installé, tout occupé à lancer la réorganisation son Etat non sans quelques véritables succès, le répit est de courte durée : les Anglais multiplient débarquements et coups de main sur le littoral, les Bourbons exilés en Sicile maintiennent des contacts avec des fidèles à Naples et, surtout, une partie de l’arrière-pays se soulève. 

Les troupes françaises devront mener, pendant de longs mois, de sanglantes opérations de “maintien de l’ordre” en Calabre pour s’assurer de la fidélité des campagnes au nouveau pouvoir royal établi à Naples [cette guerre de contre-insurrection menée par la France a été analysée par Nicolas Cadet ]. Ces troupes-là recourent toujours au service de la Poste aux Armées, qu’elles soient en action dans les provinces napolitaines mêmes ou qu’elle fassent partie de l’armée de réserve stationnée dans le royaume d’Italie, allié car gouverné par Eugène de Beauharnais, beau-fils de Napoléon.

Les timbres utilisés par ces bureaux sont libellés : Bau (x) ARM. D’ITALIE / MERIDIONALE ou CORPS D’ARMÉE / EN CALABRE

Lettre rédigée à Chieti dans les Abruzzes, le 12 novembre 1806, et remise au bureau F (on notera la variante JTALIE et non ITALIE). L’expéditeur appartient au 10° régiment de ligne. Le destinataire doit s’acquitter de 10 décimes. 

Ce dernier indique par ailleurs comme date de réception le 16 décembre. Ce délai d’acheminement est le temps moyen que nous avons constaté pour les correspondances des ces troupes.


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4.2. Le transfert du service de la Poste aux Armées aux autorités civiles napolitaines

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Si des troupes restent engagées en Calabre et dans l’arrière-pays, il apparait très vite que la capitale et ses environs, largement pacifiés, n’avaient plus besoin du dispositif habituel de la Poste aux armées.

La situation napolitaine présente cependant une double spécificité : des soldats français, désormais moins nombreux, sont toujours présents même si les troupes n’y sont plus véritablement en service opérationnel sur place, elles y constituent une réserve possible pour les mouvements en cours dans les campagnes, et protègent le secteur de tout débarquement anglais. Par ailleurs, la capitale parthénopéenne reste le centre de commandement des opérations qui continuent à être menées en Calabre et dans les autres provinces : le courrier militaire y afflue, au départ, en arrivée et en transit de et vers la France.

Dès lors, la disparition pure et simple à Naples de la Poste aux armées serait préjudiciable pour les militaires français qui verraient leur correspondance assimilée à celle des civils, sans l’aménagement tarifaire du décret et de la circulaire de 1792.

Afin de concilier mesures d’économie (en suspendant le coût du service de la Poste aux armées) et avantage accordé aux militaires (en réservant toujours à leur courrier un canal spécifique), un décret est pris le 27 mars 1806. Les archives d’Etat de Naples [A.S. Napoli, Finanze – Busta 1996/3] en conservent une version originale en français :

Rare sont les lettres à illustrer visiblement l’article 4 de cette arrêté. Voici une lettre pesante [ex-collection Paolo Vollmeier] rédigée à Naples le 13 juin 1806 par un commissaire des guerres du 2° Corps d’armée, et adressée à Paris. Elle est affranchie en partance pour un double-port de 1 franc 80. Le bureau napolitain a frappé son timbre POSTA DI NAP° / FRANCA. Ayant été remise au guichet, elle est, conformément aux articles 4 et 5 du décret, confiée au commis français en charge des correspondances des militaires : à ce titre, le port en est payé en monnaie française alors qu’en temps normal les lettres de civils français remises au bureau napolitain sont affranchies en grana napolitains.

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Si le transport des correspondances des militaires par les autorités napolitaines est confirmée par une délibération du Conseil des Postes en date du 25 avril 1806 [AN/F90/20037], les bureaux de la poste aux armée ne seront, eux, fermés que progressivement, en fonction de la réalité des opérations sur le terrain. Le dernier est clos par la délibération du 5 juin 1812 [AN/F90/20044] :

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Il en ressort donc deux situations :

  1. Le soldat peut remettre sa missive à un bureau de la poste militaire et donc bénéficier (ou faire bénéficier le destinataire) du tarif militaire. Celui-ci est justifié par le timbrage de la poste aux armée. Exemple ci-dessous avec deux lettres de la correspondance des frères Rougemont, affranchies pour 15 centimes [voir la rubrique Poste aux Armées] auprès du bureau E qui timbre ARMÉE D’ITALIE MÉRIDIONALE. La première, rédigée le 26 octobre 1807, est ensuite remise en dépêche fermée à l’office napolitain qui se charge de son acheminement ; la seconde, du 14 mai 1808, est remise à découvert et reçoit le timbre FRANCA (affranchie) du bureau napolitain :

2. Le soldat poste sa lettre auprès du bureau civil français de Naples, ou d’un bureau napolitain… et elle se voit appliquer le tarif général des postes faute d’un timbrage militaire. Deux exemples :

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Lettre rédigée par un jeune militaire français le 16 novembre 1806 : elle est postée auprès du bureau des postes civiles françaises ouvert à Naples en 1806. Ce dernier frappe son timbre NAPLES , on trouve également la marque d’entrée NAPLES / PAR LYON. La destinataire, résidant à Aix-en-Provence, s’acquitte du montant non négligeable de 15 décimes (10 décimes jusqu’à Lyon conformément au décret du 19.09.1806, puis distance supplémentaire vers Aix). On notera les signes manifestes de désinfection.

< Lettre rédigée, le 10 janvier 1808, par l’officier commandant la place de Francavilla qui précise à la destinataire : “je ne puis, ma bonne mère, affranchir ici les lettres parce qu’il n’y a pas un bureau militaire, et que c’est la poste du Royaume [de Naples] qui fait le service.

Elle est acheminée par des moyens napolitains jusqu’au bureau de Naples qui timbre NAPOLI puis met en dépêche pour Aix-en-Provence. Frappe en transit NAPLES PAR AIX et taxation à 16 décimes selon le décret du 19.09.1806.

Si l’acheminement des dépêches militaires par les postes napolitaines n’a pas d’incidence pour les usagers (soldats écrivant en France ou civils écrivant aux troupes opérant dans le royaume de Naples), il n’en va donc pas de même de la fermeture progressive des bureaux militaires : nous savons, par une lettre de l’Administrateur général des postes napolitaines à son ministre des finances [A.S. Napoli – Finanze, busta 1996], que les commis français détachés auprès de l’office napolitain ne sont qu’au nombre de 7. S’ils peuvent encaisser un port payé et faire bénéficier l’expéditeur du tarif militaire, ils ne peuvent rien pour les lettres en port dû (par définition jetées à la boite et non remises au guichet), et lorsque les missives sont remises directement à l’office napolitain elles subissent le même sort.

Au final, les lettres des militaires, qui ne paient en temps normal que le trajet sur le territoire français, sont traitées conformément au tarif bien plus coûteux du décret du 19 septembre 1806 :

Après une première lettre de soldat du 10° régiment de ligne, rédigée en novembre 1806 et timbrée du bureau F, nous en présentons ci-contre une seconde, également rédigée à Chieti. Nous sommes en octobre 1807, ce bureau de la Poste aux Armées n’est plus en activité : la lettre est acheminée sur Naples et remise au bureau civil français avant son départ vers la France via Rome. Le destinataire doit s’acquitter de 13 décimes : la lettre n’est pas identifiée comme militaire (contrairement à la première présentée) et c’est donc le tarif général qui s’applique : 10 décimes jusqu’à Lyon, puis distance complémentaire jusqu’en Isère.