Institutions

L’histoire institutionnelle de la présence française en Italie trouve également sa traduction en histoire postale, que ce soit au travers du contenu de certaines missives que des contreseings et franchises dont ont pu bénéficier certains responsables politiques, administratifs et militaires.

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1..L’inspection générale des Postes de France en Italie

2. Le Piémont, laboratoire institutionnel des départements réunis d’Italie

……….2.1. Administrateur-général du Piémont 

……….2.2. Préfet de Turin

……….2.3. Maire de Turin

3. Le gouvernement-général des départements au-delà des Alpes   

……….3.1. Gouverneur-général  

……….3.2. Organisation du gouvernement-général

4. Toscane

5. États romains, une intégration tardive et problématique   

……….5.1. La Consulte extraordinaire pour les États romains

……….5.2. Le Gouvernement-général des États romains

……….5.3. Les préfectures du Tibre et du Trasimène 

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2. 

LE PIÉMONT,

laboratoire institutionnel des départements réunis d’Italie



2.1. GOUVERNEUR GÉNÉRAL DU PIÉMONT

C’est par décret du Premier consul du 5 thermidor an VIII [24 juillet 1800] que le général JOURDAN (1762-1833, ci-contre lieutenant-colonel en 1792 par Julie Volpelière) avait d’abord été nommé Ministre extraordinaire de la République en Piémont. La création de la 27ème Division militaire en 1801 en fera le premier Administrateur-général [décret du 11 germinal an IX – 1er avril 1801] jusqu’à sa nomination au Conseil d’Etat à la fin de l’année 1802. 

En tant qu’Administrateur-général du Piémont ildispose de très larges prérogatives : militaires en tant que chef de la 27ème D.M., mais aussi politiques et civiles puisqu’il représente l’Etat et a autorité sur les préfets.

Il est donc l’artisan de l’intégration du Piémont à la France et cette mission correspond plutôt bien à son double parcours. Militaire tout d’abord : participant à la Guerre d’indépendance américaine, il reprend le service des armes entre 1792 à 1796 et remporte plusieurs victoires (dont celle de Fleurus en 1794) : il obtient ainsi ses galons de général de division. Politique ensuite puisqu’il entre, en 1798, au Conseil des Cinq-cents et fait notamment adopter la loi instaurant le principe de la conscription.

Lettre du général Jourdan, administrateur-général du Piémont, au préfet du département de la Stura, 14 thermidor an X [2 août 1802]

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J’ai reçu, citoyen préfet, avec votre lettre du 6 présent mois, la pétition du citoyen Canubi de Coni et l’expédition du procès-verbal de la soumission qu’il a passée par devant vous, en obéissance aux dispositions du sénatus-consulte du 6 floréal dernier. Je viens de les adresser au Ministre de la police qui donnera les dispositions nécessaires pour que le Cn Canubi puisse jouir de l’amnistie accordée par le-dit sénatus-consulte aux prévenus d’émigration.


Le 1er décembre 1802, c’est le général MENOU (1750-1810) qui succède à Jourdan. 

Président de l’Assemblée constituante en 1790, général de division à l’issue de sa participation aux opérations militaires en Vendée en 1793, la suite de sa carrière est faite de succès et de revers : nommé chef de l’Armée de l’intérieur, il y est jugé inefficace et écarté en 1795 ; emmené par Bonaparte en Egypte en 1798, il s’illustre par ses capacités d’administrateur mais doit assumer le commandement de l’expédition après le retour de Bonaparte en France et l’assassinat du général Kléber : c’est lui qui doit gérer la capitulation face aux Anglais en août 1801.

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Lettre adressée par le général Menou au Grand juge, ministre de la justice, le 19 juillet 1804. Elle est règlementairement acheminée en franchise.

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Par le décret du 24 floréal an XIII [14 mai 1805], Napoléon supprime la fonction d’Administrateur-général du Piémont et la remplace par celle de Gouverneur-général des départements au-delà des Alpes (voir ci-dessous au § 3.1.). 

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3. 

GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DES DÉPARTEMENTS AU-DELÀ DES ALPES


3.1. Gouverneur-général des départements au-delà des Alpes

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Par le décret du 24 floréal an XIII [14 mai 1805], Napoléon supprime la fonction d’Administrateur-général du Piémont et la remplace par celle de Gouverneur-général des départements au-delà des Alpes.

La décision est ambivalente : elle marque, d’un côté, une certaine normalisation dans l’administration des premiers départements réunis italiens (par exemple les préfets peuvent désormais correspondre directement avec les ministres, auparavant ils devaient passer par l’administrateur-général) ; de l’autre, elle illustre la volonté de Napoléon, si ce n’est la nécessité, d’établir un échelon intermédiaire entre le département et l’Etat pour ces territoires “français” plus éloignés car transalpin

Le décret du 24 floréal an XIII [extraits relatifs au gouverneur-général ci-dessus], dans son § 9, nomme le prince Louis BONAPARTE, frère de Napoléon, au poste de gouverneur-général. 

Les fonctions qu’il occupe par ailleurs ne lui permettent cependant pas d’exercer effectivement cette charge, c’est donc le général MENOU, administrateur-général sortant (voir ci-dessus, § 1.1.) qui l’assume par intérim, en sus de la sienne propre de commandant des troupes de la 27° DM. Lorsqu’en 1806 Louis devient roi de Hollande, Menou est maintenu comme “faisant fonction“.

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Almanach du département du Pô pour l’an 1808  >

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Invitation adressée par le général Menou, faisant fonction de gouverneur-général, au directeur des postes de Turin.

12 février 1806. 

C’est finalement le décret impérial du 24 février 1808 qui donnera au gouvernement-général sa configuration définitive, élargissant son périmètre, outre le Piémont (27° DM), aux départements de Ligurie et à celui du Taro (ex-Etats de Parme et Plaisance) constituant la 28° DM.

Le gouvernement général des départements au-delà des Alpes regroupe 9 départements, sa capitale reste Turin   >

 Le prince Camille BORGHESE (1775-1832), époux de Pauline Bonaparte, soeur de Napoléon, est nommé gouverneur-général et fait son entrée à Turin le 23 avril 1808 [Moniteur universel du 3 mai 1808].

Menou est, quant à lui, nommé gouverneur-général de Toscane [Gazette de France du 5 juin 1808].

Décret impérial du 24 février 1808, titre relatif aux attributions du gouverneur général :

Estafette Milan  / Turin du 15 septembre 1812 : une dépêche pour S.A.I. le Prince Camille Gouverneur Gal à Turin

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Délibération du Conseil des postes du 16 septembre 1809 [AN/F90/20040] attribuant deux facteurs au service du gouverneur général des départements au-delà des Alpes.



3.2. Organisation du gouvernement général

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Le décret impérial n° 3067 du 24 février 1808 précise la composition de ce nouveau gouvernement général élargi.

L’Almanach du département du Pô pour l’an 1809 donne le nom de ses différents titulaires 

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L’intendance du Trésor public est confié à Edouard DAUCHY  (1757-1817), précédemment trésorier général des départements des 27° et 28° DM. 

extrait du décret impérial n° 3067

Lettre du 20 août 1807 signée Dauchy. Elle est distribuée à Paris le 27, franche de port.

Délibération du Conseil des postes, en date du 10 octobre 1806, donnant l’ordre de fabrication de la griffe de contreseing de l’intendant du Trésor public [AN/ F90/20037].

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Chef d’état-major, le général PORSON a sous ses ordres les généraux commandant les 27° et 28 Divisions militaires.

Le départ du général Menou pour la Toscane amène à la nomination du général César Berthier (frère du maréchal d’Empire Alexandre Berthier) à la tête de la 27° DM, puis successivement  des généraux Mermet (1811) et de la Roncière (1812). La 28° DM est confiée, quant à elle, au général Choin de Montchoisy de sa création, en 1805, à 1814.

<   extrait du décret impérial n°3067

Reçu pour une lettre arrivée par estafette à Turin le 27 décembre 1808, et destinée au général de division César Berthier, commandant la 27° DM. Signatures du directeur des postes, Gaultier, et du général.

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La direction de la police est confiée à Jean-Louis Douhet d’AUZERS (1769-1831) qui occupait précédemment la fonction de secrétaire du gouvernement-général.

Entré par mariage dans la famille Benso Cavour, il décidera à la chute de l’Empire de ne pas rentrer en France, et s’établira au Piémont où il sera nommé membre du Conseil de la Dette publique.

Ci-contre le décret 3068 du 24 février 1808   >

Extrait du décret 3067 du même jour.

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Deux lettres du directeur de la police des départements au-delà des Alpes adressées au procureur général près la Cour criminelle de Chiavari (département des Apennins, Ligurie) : la première (3 août 1810) est acheminée en franchise, la seconde (4 mai 1809) avait été taxée pour 4 décimes !

Signature de Jean-Louis d’Auzers au bas d’une lettre adressée, le 23 décembre 1809, au préfet du département du Taro (ex-Etats de Parme et Plaisance) :



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5. 

ÉTATS ROMAINS,

UNE INTÉGRATION TARDIVE ET PROBLÉMATIQUE


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5.1. La Consulte extraordinaire pour les États romains

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La Consulte extraordinaire pour les États romains est créée par le décret impérial du 17 mai 1809, le jour même de la proclamation du rattachement des États du pape à l’Empire français. Elle restera en fonction jusqu’au 31 décembre 1810 et sera chargée, sous la direction du général de division Miollis, de préparer l’intégration de ces deux nouveaux départements, celui de Rome (ou du Tibre) et celui du Trasimène. Sa mission est précisée au §2 du décret :

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La Consulte est ainsi composée : Joseph-Marie de Gerando est en charge de l’administration générale, Laurent-Marie Janet de la fiscalité et des finances, Ferdinando dal Pozzo de l’organisation judiciaire, et enfin Cesare Balbo en est le secrétaire.

Louis Madelin, au chapitre I du livre II de son ouvrage qui constitue, aujourd’hui encore, la référence sur ce thème [La Rome de Napoléon, Paris, 1906], décrit ainsi sa périlleuse mission :

” L’Empereur leur avait assigné avant tout une tâche de liquidation, de préparation […]. Après avoir aboli le gouvernement des prêtres, en avoir dispersé le personnel et détruit les institutions, elle entreprendrait la liquidation de la dette publique, la dissolution des ordres religieux et la réduction du clergé séculier trop considérable, étoufferait toute tentative de résistance, de trouble et de brigandage, détacherait du gouvernement défunt la population en ralliant l’aristocratie, en convertissant la bourgeoisie, en amusant le peuple : il lui faudrait aussi tailler dans les États Romains deux départements, les organiser en arrondissements et en cantons, leur donner des fonctionnaires provisoires. La tâche ne comportait chez ceux qu’on en chargeait ni vastes pensées ni initiatives hardies : déblayer et poser les pierres d’attente.

Il était difficile à la Consulta de s’en tenir à cette tâche. D’une part l’éloignement de la capitale, d’où Gaudin, duc de Gaète, spécialement chargé de la correspondance avec Rome, n’envoyait ses instructions qu’après en avoir référé à l’Empereur, lui-même à Vienne jusqu’en octobre 1809, contraignait la Consulta à l’initiative plus souvent qu’on ne l’avait communément prévu ; les difficultés considérables et inattendues qu’elle allait rencontrer l’y obligeaient, d’autre part. Enfin le peuple romain lui-même l’y amenait par la conception même qu’il se faisait des pouvoirs, du caractère, du rôle de son gouvernement provisoire. Pour le peuple Romain ces cinq modestes fonctionnaires ne sont point des liquidateurs, des préparateurs, des précurseurs tels que les veut l’Empereur. Ils sont purement et simplement les représentants de César, les gouvernants.”

L’administration générale et le département de l’intérieur sont confiés au baron de Gérando (1772-1842).

Linguiste et pédagogue français, précurseur dans le domaine de l’anthropologie, il sera à l’origine de l’École des chartes en 1821.

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Ci-dessous : lettre rédigée le 5 janvier 1810 et adressée au préfet du département de l’Arno à Florence. Elle est acheminée par le service d’estafette Naples – Rome – Florence [- Turin – Lyon – Paris]

Louis Madelin [ibidem] commente ainsi cette nomination :

” Qui avait pu déterminer Napoléon, cet ennemi si résolu de l’idéologie, à placer, à coté de [Miollis], ce savant, célèbre alors par ses productions philosophiques, ses Considérations sur diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages ? Tenait-on vraiment les Romains pour un peuple à ce point sauvage que M. de Gerando fût l’homme désigné pour appliquer parmi eux ses théories de 1802, et l’Histoire comparée des systèmes de philosophie préparait-elle ce membre de l’Institut à organiser, au milieu de difficultés sans nombre, deux départements français en pays romain ? Le fait était qu’à Florence où, depuis 1808, il faisait partie de la Consulta de Toscane, l’idéologie avait paru avoir plus de charmes pour lui que les affaires […]. 

Si, en bon philosophe éclairé du dix-huitième siècle, l’excellent homme admettait que tout était à réformer à Rome et qu’il y fallait corriger un abus entre chacun de ses repas, il entendait corriger sans frapper, ayant dans la bonté de l’homme en lui-même la foi de Jean-Jacques. Assez promptement brouillé avec ses collègues, il parut vouloir s’enfermer dans une tâche restreinte, organisa une Académie d’archéologie, veilla sur les théâtres, et après avoir tout tenté pour modérer le zèle de certains sous-préfets jouant trop vite aux potentats, se borna à prêcher aux députations des villes romaines la réciproque bienveillance et la soumission souriante. C’était donc au milieu d’une légitime sympathie qu’il traversait Rome pour s’aller promener au Monte Mario, méditant évidemment moins sur les instructions du duc de Gaète ou du duc d’Otrante que sur Hobbes, Kant et Descartes.”

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L’organisation judiciaire est confiée à Giuseppe Maria Ferdinando dal Pozzo (1768-1843).

Juriste piémontais, il fait partie de la noblesse ralliée aux Français. Il garde cependant une certain réserve vis à vis de Napoléon, ce qui ne rebutera pas l’empereur qui lui attribuera quand même des fonctions à responsabilités.

Il poursuit sa carrière après la restauration des rois du Piémont, mais son indépendance d’esprit lui vaudra de connaître plusieurs années d’exil à la fin de sa vie (voir la notice que lui consacre l’ Encyclopédie Treccani).

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Dal Pozzo peint en 1810 par José Aparicio (Musée du Prado). 

Lettre rédigée par Pozzo le 23 octobre 1809 et adressée à Gaultier, directeur des postes départementales à Turin. Elle est acheminée en franchise par ce même service d’estafette (mention manuscrite en haut à gauche de la suscription). On peut y lire : 

Je vous prie, Monsieur, de faire parvenir aussitôt la lettre ci-incluse à Monsieur Quaranta, Substitut au Tribunal de première instance de Turin. Pardonnez la liberté que je prends, et agréez la nouvelle assurance de la considération très distinguée […]

La franchise postale absolue dont bénéficient les membres de la Consulte (voir le texte original de l’arrêté du 24 juin 1809 dans le chapitre Franchise et contreseings) ne s’applique que dans l’étendue des ex-États romains, d’où le recours à l’intermédiaire du directeur des postes. Les précautions oratoires du message rappellent cependant que la démarche était contraire aux articles 70 et 71 de l’Instruction générale de 1808 :